Une journée parmi d'autres d'un facteur contractuel
Dans ce petit texte, je vais vous raconter le déroulement d'une de mes journées de boulot.
Il faut d'abord que j'éclaircisse certains points.
Un facteur statutaire fait toujours la même tournée, un contractuel, peut, suivant son ancienneté et les tournées libres, devenir fixe sur l'une d'entre elles.
Moi, je suis un contractuel auxiliaire, exactement le même boulot qu'un contractuel mais avec des conditions nettement revues à la baisse, en plus, j'ai moins de chance d'obtenir un jour une tournée fixe.
Pour que vous ayez une idée, je gagne 9,85 euros brut par heure, j'ai les chèques repas à 4,50 euros par jours prestés et une prime de fin d'année d'approximativement 225 euros net ( 400 brut )
Vous devez aussi savoir, que n'étant pas fixe, je connais une vingtaine de tournées différentes.
Évidemment, avec chaque nouveau géoroute, j'en bave car les casiers de tri sont chamboulés et les tournées changées. Gros supplément de stress durant plusieurs mois, le temps que je m'habitue !
Il faut aussi tenir compte, qu'il arrive que je ne fasse plus une tournée pendant de nombreux mois.
La journée que je vais vous conter, change en fonction de la tournée attribuée pour ce jour-là.
Il y a des tournées avec uniquement du courrier , d'autres avec une tournée journaux et du courrier, d'autres avec une tournée « Liasses directes » et du courrier ou des colis.
Je peux un jour être en mobylette, un autre à vélo , un autre en camionnette ou moitié camionnette et moitié mobylette.
Voici donc l'histoire d'un jour de ma vie de facteur :
Tûtûtûtût ! Trois heures du matin ! Les yeux encore collant, le cerveau embrumé, les jambes lourdes, je me lève.
A cette heure là, je vous prie de croire que les érections matinales ne sont plus qu'un souvenir !
Débarbouillage, vidange de vessies, habillage comme tous le monde, enfin presque ! ;-)
Un coucou sur facebook, un café et une clope.
Trois heures quarante-cinq, je suis au volant de ma voiture, prêt à démarrer !
Un quart d'heure plus tard, le drame, l'horreur, le pire cauchemar mais éveillé, La Poste !
Noirceur glauque d'une parking éclairé par un visage de Lune grimaçant.
Cube de métal, froid et lugubre, une entrée avec badge et ... j'y suis !
Un bonjour aux collègues de nuit et les matinaux de jour, agrémenté d'une tape sur les fesses, d'une blague salace et déjà un regard angoissé sur la pile de bacs contenant le courrier !
Pour être sûr, un coup d’œil sur le tableau, oui, je fais la 16 !
Plus de temps à perdre, je chope une charrette, la charge de mes bacs, vide les casiers de nos courageux trieurs de nuit et avanti ! Fouette cocher ! Course vers mon casier.
Les trieurs de nuit, répartissent par tournée, le courrier que ne l'a pas été par les machines.
Bon ! Je suis devant mon casier ! Un coup de café ! Un grattage de couilles et au boulot !
Le casier de ce jour là est composé de trois « armoires » comportant chacune trois étagères et celles ci, composées d'intercalaires verticaux d'un centimètre de largeur.
Chaque espace d'un centimètre est prévu pour un ou deux numéros.
L'ensemble du casier est , normalement, dans l'ordre de la tournée.
Et c'est parti à fond la caisse !
Cinq cents boites aux lettres, donc entre deux milles cinq cents et quatre milles courriers.
De temps à autre, comme un grand malade, je lance une blague débile à mes collègues, histoire d'oublier, une seconde, que je suis un con travaillant pour un salaire de con !
Cinq heure ! Ouf ! Pour le moment, pas de changement de tournées !
Ah, bin oui ! Ce qu'il faut savoir, c'est que mon teamleader ( mon chef ) peut à tout moment me faire changer de tournée pour remplacer un collègue absent.
Ce qui arrive fréquemment !
Dans ce cas, on abandonne tout et on fonce sur un nouveau casier de tri !
Si on du bol, le tri a déjà été assuré partiellement, si on en a pas, il faut tout reprendre à zéro !
Souvent, un absent engendre un jeu de chaises musicales entre facteurs contractuels,
Maaaaaais ! Pas aujourd'hui ! Je suis sauvé ! Tiens ! J'en aurais presque une érection !
Bien, cinq heure donc, et là, je prends ma charrette et cours récupérer mes journaux, la clef du véhicule, le papelard à la con que je dois remplir avec kilométrage, état, et autres carabistouilles.
A nouveau, j'ai de la chance ! La clef de la camionnette assignée à ma tournée du jour est au tableau !
Pas possible ! Ma femme doit être en train de me faire cocu !
Mais, je m'en fous, les journaux doivent être distribué,,,et vite !
Cent quatre-vingt journaux à distribuer ! Cent soixante fois sortir et rentrer dans le véhicule !
J'oubliais, les véhicules sont parfois en très bon état, mais il arrive aussi que l'on hérite d'une espèce d'épave sans frein à main ou sans essuie-glaces ou encore avec les ressorts du siège qui me grattouille le trou de balle !
Et je n'invente, malheureusement, rien !
Sept heures ! De retour ! Bien ! Maintenant, on reprend le tri ! Vite ! Vite ! Vite !
Ah bin non ! Ma chance me tourne le dos! Un collègue me prévient que l'on a réunion !
Font chier ces cons avec leurs réunions à la mord moi le nœud !!!
Vite trier quelques centaines de lettres avant d'y aller.
Merde de milliard de nondidjuuuuu !
Rien à faire, je ne peux pas y couper, je monte et m'assied autour d'un grand rectangle fait avec des tables.
Sur un côté, une brochette de chef divers, les trois autres, c'est pour nous, pauvres forçats du travail.
Et là, le blabla d'usage ! Résultats qualités du bureau, bisous sur le front si ils sont bons, tapes sur le cul si c'est mauvais.
Laïus, préchi précha , sourires, grondements, un Avé Maria et après une demi-heure de bâillements, ricanements et autres grattage de roubignolles ou de foufounes, on est enfin libérés !
Banzaïïïï ! Dégringolade de l'escalier, jurons divers, et que j'te dise que c'est encore une réunion inutile, et que râle et que je lâche une connerie !
Oui, lâcher des conneries est un don de la Nature chez moi !
Et voilà que je reprend le tri !
Faut me grouiller, le facteur qui va porter mes sacs de surcharges m'attend !
Bin oui, sur cette tournée, j'échange la camionnette contre un vélomoteur.
Impossible de tout mettre dessus, c'est donc un collègue qui a le boulot de déposer mes sacs aux endroits prévus.
Huit heures trente ! Le courrier c'est okay !
Bordel ! Il y a deux toutes boites aujourd'hui !
J'en prends une partie pour démarrer ma tournée avec une première partie du courrier et je fous le reste dans les sacs.
Merdeeee ! Les abonnements ! Faut noter les numéros des maisons dessus et les insérer dans le peu d'espace qui demeure dans le casier.
Bien ! Bien ! Bien ! Les colis !
Nouvelle galopade, je prends les colis qui ont le format maximum pour une tournée mobylette, les autres seront distribués par un collègue qui a cette tâche prévue dans sa tournée .
Rapide tri entre colis ordinaire, colis à scanner et autres à scanner et à faire signer par le client.
Important çà ! Trèèèèèèèès important ! Sinon, grosse claque dans la tronche le lendemain !
J'empoigne un scanne et Bip ! Bip ! Bip !
Couinement de l'imprimante, j'empoigne les papiers et je note dessus les noms et adresses des destinataires.
Deux jurons, trois phrases salaces plus tard, je cours... bin, oui, facteur, c'est un gigantesque et quotidien marathon, ... donc, je fonce vers les recommandés !
En gros c'est la même chose que les colis : Bip ! Bip ! Bip ! Couinements et scribouillis frénétiques sur les papiers .
Bon, un dernier tour d'horizon pour m'assurer que je n'ai rien oublié ! Non ? C'est bon ?
Okay alors ! Nouvelle clef, nouveau papelard de merde et on charge le brol de 120 kilos à vide que l'on appelle « mobylette ».
Je peux vous dire qu'on la fourre à mort, la garce !
Elle se prend bien vingt à trente kilos dans le bide la machine à deux roues !
Si, on pouvait en faire autant avec madame !
Ou que monsieur puisse en faire autant à mes collègues féminines ou mes collègues gays...
Plein d'essence ? Non ! J'ai assez !
Vroum ! Vroum ! Et me voilà à descendre une grosse nationale sur mon bidule tremblotant sous la charge !
Yessss ! Début de ma tournée courrier et encore en vie !
Clope, gorgée de café, coup d'oeil sur le premier colis et recommandé et la distribution commence !
Lettres, magazine, les deux publicités à la con et hop dans la boite!
Suivante !
Cinq cents boites que je fourre vigoureusement !
Cinq cents fentes de tout type, toutes tailles, des poilues, des larges, des trop étroites ( enfoiré de merde ! Tu ne sais pas avoir une boite conforme ? )
De temps à autre, je descend de ma mobylette, j'ai un recommandé.
Dring ! Dring ! B'jour m'dame ! B'jour m'sieur ! J'ai un recommandé pour vous !
Et d'entendre : Pfff !!! C'est encore quoi !!!
Ah bin, chai pas, pas eu le temps de le lire ! M'dame, m'sieur.
Heuuu ! J'ai besoin de votre carte d'identité.
Et là, mes pauvres oreilles doivent parfois subir les cris de rage du client :
« Wouaaaaaiiiiis, mais d'habitude on me la demande paaaaaaas ! Z'êtes nouveau ou kwwwwaaaaa ! J'en ai marre de la Pooooste ! »
Ou sinon lorsque le recommandé est au nom de monsieur et qu'il n'y a que madame à la maison :
« Mais pourkwa vous me le donnez pas !!! Chui sa femme ! C'est une hoooonte ! Il va devoir courir au bureau ! »
Et moi, de faire des « Mais oui, mais... », des « Non, mais,... » Et des hochements de tête dans tous les sens, et des sourires crétins...
Claquement rageur de porte ! Ouf ! J'en ai fini des jérémiades !
Petite pensée du type « Salope de putain de merde de connasse, j'ai perdu cinq minutes »
Wouais, wouais, je sais , ce n'est pas une pensée correcte pour le client qui nous permet de travailler !
Mais voilà....il y a le facteur stress, un facteur qui nous suit toute la journée, toute la semaine, toute l'année, toute la vie, toute l’Éternité...Heu, non, quand même pas !
Évidemment, et heureusement, souvent le contact avec le client est très sympa !
Vous savez, on les aime bien nos clients, l'air de rien !
Treize heures ! Dos en compote, roubignoles en marmelade, on reprend la route du cube d'acier.
Treize heures quinze, on rentre enfin !!!
Maintenant, plus qu'à faire les papiers, scanner ( Bip ! Bip ! Bip ! ) les colis et recommandés non distribués.
Coller de jolies étiquettes rouges ou jaunes sur certains d'entre eux.
Un coup d’œil sur le tableau maléfique pour connaître la tournée du lendemain.
Et, et, ... ET RETOUR A LA MAISON !!!!
Là, tartines, café, un coucou sur facebook et on s'écroule d'épuisement sur le lit, tout habillé pour une sieste bien méritée.
Voici donc, une de mes journées, un des journées de votre facteur ou factrice.
Alors, si certains jours, on fait une gaffe ou que l'on a une sale gueule...
Vous savez pourquoi, hein ?
Allez, mes chers clients et clientes, un petit bisou et...à demain ?
Petit texte écrit par Boden Jean-Pierre, facteur dément et sous payé de Bpost !